Blog: Marianne2.fr | le site de l'hebdomadaire Marianne

Date :: 23/3/2012 12:00:02 (Mettre à jour)
Par C., Mariannaute, qui nous rappelle que les socialistes et les communistes ont eux aussi mis en place quelques niches, et souligne l'urgence d'une réforme de la « fiscalité directe ».
Riches, faites payer votre augmentation de patrimoine par les impôts des pauvres !
C'est le sens d'une accroche publicitaire émise par un « conseiller en défiscalisation, spécialiste de la défiscalisation en déficit foncier ». Retour aux privilèges de l'ancien régime ? Pas du tout! Les niches fiscales sont faites pour ça, pour s'enrichir aux frais de la République, « organiser ses déficits » et ne pas payer d'impôts. Fort ! Et totalement injuste !
Si la droite a massivement développé les niches fiscales, les socialistes l'ont également fait avec l'immobilier, les communistes l'ont fait avec les résidences de vacances. Pour défiscaliser dans l'immobilier, il n'y a pas que les lois Robien ou Borloo. Il y a les monuments historiques et la loi Malraux, les résidences de loisir Demessines, les « investissements » dans les Dom Tom avec la loi Girardin qui a remplacé les lois Pons et Paul... Et pour diversifier ses placements, l'investisseur aisé a à sa disposition 400 niches fiscales. Que du bonheur !
Vif succès?
Car ces cadeaux aux nantis ne concernent pratiquement plus les couches moyennes directement concernées par ce qu'un néo-économiste appelait sans honte « l'effet de richesse négative ». Ces niches sont évidemment inaccessibles aux 6 millions de smicards, aux Rmistes et aux chômeurs.
La loi Girardin (ex Pons) concerne en fait 26.000 « particuliers ». Pour la défiscalisation immobilière, la publicité sus mentionnée nous l'apprend : « Avec plus de 60 000 opérations réalisées cette année, les dispositifs Robien et Borloo rencontrent un vif succès auprès des particuliers souhaitant se constituer en toute sécurité un patrimoine (immobilier ou financier – à la revente), en principe sans apport financier, tout en bénéficiant d'importants avantages fiscaux. »
"Réduire le déficit de l'Etat?"
Moins de la moitié des ménages paient l'IRPP et parmi ceux qui n'en paient pas, il y a des « défiscalisés ». Inique ! En revanche, parmi ceux qui paient, il y a le couple de citoyens républicains salariés qui a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts du mois. Il paie, sans pouvoir tricher, son IRPP de plus d'un mois de salaire. Il aimerait bien, lui aussi, ne plus payer aucun impôt à l'image de ces quelques centaines de milliers de nantis, et il ne peut pas dénicher un petit quelque chose.
Nous ne sommes plus au temps de la 4ème République et d'un Edgard Faure qui multipliait les micro-niches pour ses pipiers de Saint Claude. Il urge de réformer la fiscalité directe. En supprimant les niches fiscales et en s'attaquant à d'autres niches trop longtemps tolérées: les 40 milliards de fraude aux impôts directe, à la TVA et aux cotisations sociales. Réduire le déficit de l'État ? En voilà un moyen efficace.
Voir l'article de Sylvain Lapoix
Par V., Mariannaute, qui nous propose sa propre réforme des retraites : il suffit, selon lui, de plafonner les pensions des nantis.
Il serait possible de financer les retraites et pensions de tous les salariés, à un excellent taux de remplacement, à condition de plafonner les retraites des nantis. Par exemple, on pourrait limiter les sommes versées à 4 500 € mensuels maximum par retraité, - somme tout à fait respectable y compris d'ailleurs pour des salariés en activité - et reverser le surplus dans les caisses de retraites et dans le budget général de la nation pour les pensions des ministres et des hauts fonctionnaires privilégiés.
Est-il normal, aussi, que des retraités cumulent des retraites plus que confortables avec des revenus spéculatifs et des rentes de situation immobilières ou mobilières ? On pourrait, tout autant, moduler et indexer les sommes versées au titre des retraites et pensions en fonction des autres revenus perçus par les intéressés (revenus fonciers, stock-options, revenus financiers, rentes ...).
De la sorte, on pourrait revenir pour chaque salarié du privé et du public à une durée de cotisation de 37, 5 annuités avec un taux de remplacement décent pour chacun. Les fausses solutions qui nous sont présentées comme inéluctables (allongement de la durée de cotisation, cumul emploi-retraite, date limite de départ repoussée à 65 voire 70 ans) peuvent être contredites avec succès par des mesures alternatives de ce type. A condition, toutefois, que les petits et moyens salariés sachent l'imposer et se trouver maintenant des représentants de la classe politique et syndicale en rupture avec le catéchisme néo-libéral.
Voir l'article de Pauline Delassus
Ils nous dirigent mais combien gagnent-ils? Cette question a passionné les Mariannautes cette semaine et a donné lieu à de vives discussions sur le site de Marianne2.fr.
La retraite de Fillon passionne les Mariannautes. Près de 20 000 lectures pour l'article «Réformes des retraites: papi Fillon touchera 8000 euros brut» une centaine de commentaires qui montrent que le débat est vif entre ceux qui pensent que François Fillon mérite cette somme pour pension mensuelle, et ceux qui estiment que c'est un privilège de plus. De nombreuses années passées à servir les citoyens, de très longues journées de campagne, peu d'heures de sommeil mais aussi beaucoup d'avantages, dont une retraite non négligeable. Voilà ce que retiennent les lecteurs.
Pour Yves, la politique est un métier comme les autres: «Avant les élections, il était question de prendre en compte les métiers pénibles.... Il doit être plus pénible de faire partie d'un gouvernement que de travailler dans le BTP/Génie civil.» Pour T., au contraire, il s'agit de penser d'abord aux citoyens moyens :«Que l'on commence par réformer le régime spécial des retraites des élus, la pilule serait moins amère peut-être à avaler pour ceux auxquels on veut faire croire que le travail c'est la santé!» Pierre est du même avis: « S'il doit y avoir une sixième république, j'espère qu'elle sera celle qui fera disparaître ces privilèges d'un autre âge.» V., lui , pense pratique - il faut tirer de ce mal un bien: «Cette information confirme indirectement qu'il serait possible de financer les retraites et pensions de tous les salariés, à un excellent taux de remplacement, à condition de plafonner les retraites des nantis.» Et de donner des exemples : «On pourrait limiter les sommes versées à 4 500 € mensuels maximum par retraité, - somme tout à fait respectable y compris d'ailleurs pour des salariés en activité - et reverser le surplus dans les caisses de retraites et dans le budget général de la nation pour les pensions des ministres et des hauts fonctionnaires privilégiés.» Dans l'ensemble, les Mariannautes ne sont pas tendres pour le Premier ministre et les élus en général. Trop c'est trop, c'est le message qu'il faut comprendre ici. Pourtant, le sujet attire plus que d'autres, démago diront certains, scandaleux pour d'autres, en tout cas instructif d'un point de vue journalistique.
Cette semaine la future retraite de Fillon, la décroissance selon Sarkozy et les démêlées de Mélenchon et Ménard dominent largement, loin devant la Chine vue par Raffarin…
1)Réforme des retraites: papi Fillon touchera 8000 euros brut, par Pauline Delassus, 19 414 visites, 101 commentaires
2)Nicolas Sarkozy, président de la décroissance, par Christian Jacquiau, 13 321 visites, 98 commentaires
3)Pour Mélenchon, Ménard est mégalo et incompétent, par Anna Borrel, 12 639 visites, 164 commentaires
4)Le sarko-show: un choc de défiance, par Sylvain Lapoix, 11 633 visites, 57 commentaires
5)Xavier Bertrand: la retraite en souriant, par Nicolas Domenach, 9 822 visites, 113 commentaires
6)Sarkozy et les franchises, par Juan, 9 619 visites, 51 commentaires
7)M6-TF1: Jennifer Lopez bat Castaldi par un fessier à zéro, par Bénédicte Charles, 9 486 visites, 26 commentaires
8)Kerviel embauché, Bouton promu, vive l'éthique du libéralisme, par Philippe Cohen, 9 104 visites, 100 commentaires
9)Sarkozy, le Gribouille de l'économie, par Hervé Nathan, 8 887 visites, 58 commentaires
10)Raffarin: « La Chine a quitté la route de la dictature » Sans blague? Par Régis Soubrouillard, 8 280 visites, 115 commentaires
Par Philippe Bilger, magistrat, qui constate le vent de saine remise en question soufflant depuis 68. Mais se désole que ce soit au détriment de toute forme d'autorité. Triste jeunisme!

Mai 68 a inventé, en tout cas magnifié un personnage mythique dont on ne finit pas de subir les foudres et de tresser les lauriers. Vous avez compris que cet être, c'est le «jeune». Pour la première fois, et à ce point, on a prétendu donner au provisoire, au précaire et au virtuel le statut de l'immuable, du nécessairement pertinent et du respectable par principe. On a changé d'idoles et aux autorités établies d'avant mai 68, aux gloires illustres, aux personnalités enrichies de savoir, pétries de culture et riches d'un parcours de vie, aux officiels en quelque sorte, on a substitué, par un coup de force jamais remis en cause, au contraire amplifié, un jeunisme dévastateur, la révérence de l'improvisé et de l'officieux, l'adoration de ce qui n'est qu'un passage dont la fraîcheur viendrait faire oublier l'inévitable ignorance, les obligatoires limites. Depuis mai 68, le «jeune» est devenu le dieu d'une société qui perd toute dignité en hyperbolisant ce devant quoi elle n'a plus su demeurer exemplaire. L'idolâtrie du jeune, c'est tout ce qu'a trouvé la maturité ou la vieillesse pour se décharger du souci d'éclairer et du devoir d'enseigner. C'est l'âge qui impose sa loi. Rien de plus grotesque, à cet égard, que ces manifestations de lycéens qui perdent leur temps au prétexte de réclamer plus de professeurs. Parfois, ils sont critiqués mais pas un politique responsable n'ose porter atteinte au sacro-saint principe du «jeunisme» immaculé. Même quand il est dépourvu de toute crédibilité.
Nous sommes tous les héritiers de mai 68 mais rien ne me semblerait plus erroné que de formuler une conception mécaniste de l'Histoire qui placerait aujourd'hui sur les épaules d'hier, notre société sur celles de mai 68.
Une négation du principe d'autorité
D'une part, je persiste dans cette intuition que confusément mai 68 a rempli une mission espérée par presque tous, mise en oeuvre par une minorité. Les manifestants, certes, n'ont pas été l'avant-garde des autres citoyens mais quelque chose s'est dénoué qui, peut-être, nouait collectivement. L'air libre était sans doute l'aspiration de beaucoup mais là où les uns voulaient une adaptation, une rénovation, les autres désiraient un bouleversement.
D'autre part, depuis cinquante ans, mai 68 est devenu l'alibi commode, le prétexte rêvé pour une communauté nationale qui, par ses élites politiques, intellectuelles et médiatiques, a largement fait la preuve de son incurie. Par exemple, les enseignants. Certes, mai 68 a mis à mal l'autorité bête et méchante mais si l'intelligente et la compréhensive ne sont que trop rarement revenues, c'est que tout simplement l'exigence même d'autorité s'est vu niée par ceux qui avaient le devoir éthique et technique de la sauvegarder. On laisse tout faire, on a peur d'intervenir, on tremble devant la terrible puissance des imbéciles, mais, bien sûr, c'est à cause de mai 68. La politesse, le respect, l'élégance, le dialogue authentique, l'humanisme vrai, la culture, la volonté de concilier plus que la rage de diviser, autant de trésors que notre faiblesse a dilapidés et que mai 68, faussement, nous aurait pris. Tout au plus, ce cataclysme festif et qui, sans le préfet Grimaud, serait devenu tragique a ouvert des brèches que nos compromis faciles avec l'air du temps ont sans cesse élargies.
Des repères introuvables
A supposer même que pour certains aspects de la vie sociale et familiale, ces événements aient marqué durablement et profondément notre tissu existentiel, notre manière de penser, d'agir ou de nous trouver en relation avec autrui, ces tendances ne doivent pas faire oublier la leçon fondamentale et triste de mai 68, dans la suite implacable de ce que je viens de développer. Les adultes, globalement, ont laissé se déliter leur courage, leur capacité d'affrontement. Ils ont théorisé leur lâcheté. Ils ont prétendu en faire une force. Ce n'est pas seulement le culte du «jeune» rappelé plus haut, c'est aussi un poison qui a pris possession de la dignité d'être homme, de la fierté de résister, de l'orgueil de parler librement, de l'aptitude à gouverner sans démagogie ni mépris. Cette décadence, cette déchéance, même si je ne méconnais pas le caractère trop général de ce billet, sont dévastatrices car de quelque côté qu'on se tourne, plus personne pour représenter un exemple indiscutable, plus rien pour constituer un repère certain.
Nous sommes confrontés aujourd'hui, non plus seulement à un pays se cherchant désespérément un destin mais à une solitude où l'être cherche quelqu'un et où il ne trouve plus personne. Des illusionnistes peut-être, mais des lumières ?
Mai 68 serait-il à ce point notre obsession, aujourd'hui, si notre attente était comblée, notre bonheur assouvi, notre désir de justice compris et notre être collectif accueilli ? Alors, mai 68 comme succédané de nos chagrins, pour paraphraser Marcel Proust ?
Retrouvez ici la première partie du billet de Philippe Bilger sur Mai 68.
Par Alexis Macquart, humoriste. Sauver la planète, disent-ils. Mais sauver quoi? La marée humaine imbécile des randonneurs en rollers?

Il y a quelques semaines, une pancarte a été accrochée sur la porte d'entrée de mon immeuble, dénonçant les pratiques anti-écologiques de certains de ses locataires. Les instances punitives avaient découvert que certains d'entre nous ne respectaient pas le tri sélectif. Et je dois vous avouer que s'ils avaient accroché à côté de cette pancarte la photo de mon visage avec écrit dessous «wanted mort ou vif», le message n'aurait pas été plus clair.
Je pense être l'une des dernières personnes de mon entourage à n'avoir strictement rien à foutre du tri sélectif. Alors je sais bien que c'est un acte citoyen primordial pour la survie de notre planète, mais rien n'arrive à me responsabiliser. Ni les messages d'alerte de Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand, ni les comptes-rendus de fonte des neiges ou de déforestation. Tant que mes chaussures ne sont pas entourées de lave, ou mon pantalon trempé par les prémisses d'un tsunami imminent m'arrivant sur la face, je suis incapable de m'émouvoir, ou plutôt si, je m'émeus le temps du journal télé, mais dès les résultats sportifs, mon émotion citoyenne disparaît à la vue d'une volée de Federer ou d'un dribble de Cristiano Ronaldo.
«La terre vue du ciel» contre «Paris vue de ma fenêtre»
Jamais Nicolas Hulot n'arrivera à me faire prendre conscience que la terre va mal. Et le pire, c'est que je sais qu'il a raison, mais je n'ai pas envie de le croire. Par jalousie. Hulot a vu tant de choses magnifiques durant sa vie que je peux aisément comprendre qu'il veuille protéger, sauvegarder la planète. Ses motivations sont pures, réelles, basées sur l'expérience personnelle d'un globe-trotter insatiable. Pour ma part j'écris ce papier dans un 12m2 avec vue imprenable sur un mur moucheté de crottes de pigeons. Que voulez-vous que j'ai envie de sauvegarder avec une copie fécale d'un Jackson Pollock sous le nez une partie de la journée ?
Vous comprendrez que ma vision de la beauté du monde est un peu plus étroite que celle de Nicolas Hulot, et que si un matin, avant de descendre mes ordures ménagères, je décide de mettre mon carton de rouleau de papier-toilette dans la même poubelle que ma boîte de raviolis vide, ce n'est pas de la fainéantise, mais juste de l'aigreur.
«La terre vue du ciel» ? qu'ils essayent «Paris vue de ma fenêtre» et après on discutera.
Notre différence d'engagement vient du fait qu'on ne voit pas le monde de la même perspective.
Quand on voit les randonnées en rollers à Paris, on se dit que l'Homme n'a pas sa place sur cette terre
George Carlin, un des plus grands humoristes américains, disait : «the earth is fine… men are fucked». J'aime cette misanthropie guillerette.
Comme lui, plus j'observe la société et plus je me dis que l'Homme n'a pas sa place ici.
La Terre est une fête dans laquelle l'Homme s'est incrusté alors qu'il n'était pas invité. Il a vidé le bar et, bourré, à commencer à foutre le bordel et niquer l'ambiance.
Et lorsque, par exemple, je vois une marée humaine en rollers débouler sur les Grands Boulevards parisiens à grands renforts de bruits stridents, de chapeaux stupides et de t-shirts débiles, je ne peux m'empêcher d'avoir, l'espace d'une demi-seconde, et avec un léger sourire au coin des lèvres, le fantasme morbide de voir une voiture débouler à contresens.
La mondialisation, c'est aussi la propagation des projets nuls
Paris s'est transformée en un immense club Med dont Bertrand Delanoë est le g.o.
Il se félicite constamment des évènements à consonance écolo qu'il crée puis propose aux autres grandes villes du monde. Paris-Plage (bientôt à Londres), Vélib (à Chicago).
Bienvenue dans la nouvelle mondialisation soft, où les mêmes projets nuls se propagent aussi rapidement qu'un Herpès mal soigné.
Mais malgré mon petit côté insociable et pseudo-contestataire, j'aime l'endroit dans lequel je vis, et si Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand lisent ce papier et décident de m'emmener en voyage pour me faire découvrir la beauté fragile au sein de laquelle nous vivons, je promets de devenir un citoyen modèle. Je serais même prêt à me raser à sec, brosser les dents à sec, me laver à sec, puis me rincer avec ma propre urine recyclée que je stockerai dans des containers gardés à température ambiante via un système d'éolienne fonctionnant à l'énergie solaire.
Alexis Macquart joue les 9, 16 et 30 mai, à 19h, au théâtre de l'Archipel, 17 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris, métro Strasbourg Saint-Denis.
Dans Trois leçons sur l’Etat-providence (éditions du Seuil), Bruno Palier soutient que la politique sociale doit revivre sous forme d’un investissement favorable à la croissance économique, dont les deux piliers seraient l’aide aux femmes et une prise en charge efficace de la petite enfance.
Trois leçons sur l'Etat providence, de Gosta Esping-Andersen, introduit et adapté par Bruno Palier, est paru en février 2008 aux éditions du Seuil dans la collection La République des Idées.
Dans son ouvrage Le salarié jetable, le journaliste américain Louis Uchitelle décrit un capitalisme à courte vue, plus préoccupé de rentabilité immédiate que de ses salariés... et finalement contre-productif. Extraits.

En vingt ans, plus de 30 millions d'américains ont perdu leur emploi. Ce qui fait du licenciement la principale activité aux Etats-Unis! Le journaliste du New York Times Louis Uchitelle lui consacre un livre, Le salarié jetable, enquête sur les licenciements aux Etats-Unis, où il dénonce la stratégie d'indifférence que l'ensemble de l'économie américaine a adoptée à l‘égard du salarié. Celui-ci est devenu interchangeable, quelle que soit sa qualification, son expérience, sa ténacité.
Rompant avec la tradition américaine de stabilité de l‘emploi, observable jusque dans les années 70, les grandes entreprises (United Airlines, General Electrics, Procter et Gamble…), fleurons de l'économie mondiale, ont lancé le mouvement à partir d'un principe simple: être flexible, c'est être compétitif. Brandissant sans cesse le spectre d'une mondialisation acharnée, elles ont justifié des licenciements massifs - allant de pair avec des bénéfices tout aussi massifs - par ce besoin de flexibilité, recourant de plus en plus à la sous-traitance.
Un système coûteux, sauf pour les entreprises
Seulement, tout cela a un coût. D'abord, celui du chômage, qui n'est bien sûr pas pris en charge par les entreprises, mais par l'Etat, donc le contribuable. Ensuite, celui des tentatives de reclassement, lui aussi pris en charge par la collectivité. S'y ajoute le prix de la formation professionnelle, souvent inefficace pour des salariés parfois déjà hautement qualifiés (à ce titre, l'exemple des techniciens aériens, longuement étudié dans l'ouvrage, est édifiant) qui ne trouvent que des emplois peu rétribués, sans qualification. Et dans lesquels ils sont tout aussi jetables. Un coût en termes de qualité du travail, aussi, puisque les licenciés sont remplacés par des salariés moins bien formés, moins exigeants sur leurs salaires, peu attachés à leur entreprise, mais «flexibles», c'est-à-dire virables à merci. Sans parler du coût psychologique pour l'ensemble des travailleurs, devenus membres de la « classe des anxieux », moins sûrs d'eux, moins confiants en l'avenir, et donc moins enclins à investir, s'investir, consommer…
Et l'Etat dans tout ça? Si l'administration Bush va sans surprise dans le sens de cette course au profit exclusivement tournée vers la rémunération de l'actionnariat, la description des années Clinton est très instructive. L'administration Clinton s'est en effet révélée incapable de faire face à l'idéologie de la compétitivité prêchée par le néolibéralisme, et n'a su qu'aller dans son sens, offrant pour seule réponse la formation professionnelle de réorientation. Autant dire un leurre, doublé d'une belle entreprise de dédouanement de l'industrie soucieuse de conserver sa réputation, qui a renforcé l'individualisme des salariés, invités non plus à une solidarité qui leur donnerait une force de négociation, mais poussés à prendre individuellement les rênes de leur parcours. Ce qui a contribué à les isoler.
Louis Uchitelle décrit une économie qui va dans le mur à toute vitesse. Au fil de ces entretiens avec des salariés victimes de dégraissages et des descriptions pointues de la politique fédérale de l'emploi, on comprend que la France n'est plus très éloignée de ce sinistre tableau. Celui d'un système économique maîtrisé par des entreprises toutes-puissantes, agissant au nom de la productivité, au détriment des salariés, et finalement gravement contre-productif.

EXTRAITS
Pour régresser, rien de tel qu'une bonne formation
Se former, mais pour quoi faire ? La réalité, comme allaient le découvrir à leurs frais les mécaniciens d'avion, est bien éloignée de la thèse régnante. Loin de souffrir d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, l'économie américaine compte au contraire des millions de salariés surqualifiés par rapport à leur travail.C'est particulièrement vrai pour les diplômés de l'enseignement supérieur, qui représentent aujourd'hui 30 % de la population contre 10 % dans les années 1960. Ils se retrouvent parfois à devoir gagner leur vie en travaillant comme vendeurs ou administrateurs de bureaux, à accepter des postes dans l'hôtellerie ou la restauration, à devenir charpentier, steward ou hôtesse de l'air, ou encore opérateur de saisie. Selon le département du Travail, le nombre d'emplois qui nécessitent un diplôme d'enseignement supérieur s'est certes accru, mais moins vite que le nombre de diplômés, et la tendance est susceptible de se confirmer jusqu'en 2010. «En règle générale, ces diplômés de l'enseignement supérieur s'en sortent très bien, remarque Lawrence Katz, professeur d'économie du travail à Harvard. À la marge,ils paraissent cependant plus vulnérables que par le passé. »Le Bureau of Labor Statistics du département du Travail a évalué le déséquilibre de la demande par rapport à l'offre d'emplois. Chaque mois depuis décembre 2000, il étudie le nombre de postes à pourvoir sur tout le territoire et compare ces offres au nombre de chercheurs d'emploi au chômage. Sur les quarante et un premiers mois d'enquête, il y avait en moyenne 2,6 demandeurs d'emploi par poste à pourvoir. Ce chiffre auraitété plus élevé, selon le bureau, si le calcul avait tenu compte des millions de personnes qui, découragées de trouver un poste décent, avaient renoncé à chercher. Le nombre de demandeurs d'emploi est donc considérablement supérieur à l'offre, il le serait même d'au moins 5 millions d'après une étude de Tim Bartik, économiste de haut rang au W. E. Upjohn Institute for Employment Research, et l'état actuel de l'offre ne s'accorderait pas avec ce qu'en dit le discours officiel. La plupart des emplois vacants sont mal rémunérés et requièrent relativement peu de qualifications, souvent moins en tout cas que celles dont dispose le candidat. Du printemps 2003 au printemps 2004 par exemple, plus de 55 % des personnes recrutées touchaient des salaires horaires inférieurs à 13,25 dollars : employés dans l'hôtellerie ou la restauration, soignants, intérimaires, etc. Cette tendance risque de perdurer. Sept des dix professions appelées à se développer le plus rapidement entre 2002 et 2012, selon le département du Travail, se situent dans la tranche des salaires horaires inférieurs à 13,25 dollars : vendeurs, employés des services clientèle, personnel du secteur de l'alimentation, caissiers, vigiles, aides-infirmiers et aides-soignants des hôpitaux. Un grand nombre d'actifs appartiennent à cette tranche de salaires horaires. Plus de 45 % des employés américains, quelles que soient leurs compétences, gagnaient en effet moins de 13,25 dollars en 2004, soient 27 600 dollars par an pour un travail à temps plein. C'est à peu près le niveau de revenus nécessaire à une famille de quatre personnes pour se maintenir,sur la majeure partie du territoire, tout juste au-dessus du seuil de pauvreté. N'allons pas croire que le défaut de compétences explique les faibles salaires de près de la moitié de la main-d'œuvre. Il se joue là en vérité quelque chose d'assez différent, semble-t-il : l'excédent d'actifs qualifiés conduit les candidats à accepter des postes en dessous de leurs compétences et a pour effet de comprimer les salaires des emplois qui correspondent à leurs propres qualifications. Les mécaniciens d'avion licenciés par United Airlines ont subi ces deux phénomènes conjugués.
Jack Welsh, pionnier de la déconstruction salariale
Cette politique de fusions et d'acquisitions orientée vers la quête de profits toujours plus importants, menée parallèlement à la fermeture, la diminution ou la vente d'activités moins porteuses, fut largement adoptée en Amérique par le secteur privé, à grand renfort de licenciements. Dans la mise en œuvre de cette stratégie, Jack Welch, nommé président de General Electric (GE) en 1981, se montra sans égal. Ses succès firent des émules parmi les dirigeants d'entreprise. La poursuite de profits toujours plus élevés faisait grimper le cours des actions, enrichissant les actionnaires, devenus de fervents partisans de toute opération qui promettait de nouvelles plus-values boursières, une promesse que les marchés en hausse des années 1980 et 1990, si ce n'est les opérations elles-mêmes, tenaient souvent. Les gagnants de l'avenir, annonça Welch lors de la première allocution qu'il adressa aux analystes de Wall Street en accédant à la présidence de GE, seront les entreprises qui découvrent les véritables secteurs de croissance et y participent». Welch avait une curieuse définition des secteurs de croissance. Il s'appropria ainsi Radio Corporation of America (RCA) en 1986, avec pour objectif principal d'atteindre National Broadcasting Company (NBC), où il voyait un potentiel de demande et de rentabilité. Deux ans plus tard, s'extrayant d'un secteur dont il jugeait l'offre mondiale trop forte par rapport à la demande, il céda à Thomson la partie des activités de RCA liée à la fabrication de téléviseurs et lui racheta ses entreprises d'équipements médicaux, autre source de demande potentielle de son point de vue. Des licenciements se mêlèrent à ces rachats et ces cessions. Dans le cas de GE, un employé sur quatre fut concerné entre 1980 et 1985, soit au total 118 000 salariés. Pendant quelque temps, les médias surnommèrent Welch «Jack le Neutron», formule reprise d'un article paru en 1982 dans Newsweek, en référence à la bombe à neutrons qui, comme Welch lui-même l'évoquerait plus tard, laissait les constructions en l'état mais vidées de ses occupants. Ce surnom ne le poursuivit pas longtemps, tant au milieu des années 1980 s'étaient banalisés les dégraissages tels qu'il les pratiquait. Si Welch donna le ton, cette nouvelle orientation de l'économie était déjà dans l'air du temps. Un autre que lui aurait tout aussi bien pu lancer le mouvement. Incapables de tirer de la production les mêmes bénéfices qu'hier, les entreprises américaines s'engagèrent sur cette voie plus aisée, qui consistait à redistribuer leurs actifs afin d'améliorer l'aspect de leur bilan. Comment auraient-elles pu y résister ? L'hégémonie de l'après-guerre s'était effritée et avec elle les fructueuses économies d'échelle qu'avait permises un accès sans précédent aux marchés de masse. À l'heure où les gouvernements européens menaient une politique volontariste de subventions et d'aides diverses aux entreprises, les États-Unis se retenaient d'intervenir, sauf dans le domaine militaire ou à la faveur de certaines situations exceptionnelles : celle de la firme Chrysler, par exemple, à laquelle l'État fédéral octroya au début des années 1980 des garanties de prêt pour la sauver d'une faillite imminente, qui aurait été trop lourde de conséquences. À aucun moment on ne vit cependant se dessiner un mouvement d'opinion en faveur d'une «politique industrielle», à laquelle Business Week s'était référé non sans dédain.Les marchés financiers américains, en revanche, étaient plus puissants que jamais et offraient un mécanisme propre à créer des richesses à travers le type d'acquisitions et de restructurations où Welch s'illustrait. Sa méthode détournait pourtant les revenus de dizaines de millions de salariés licenciés, reversés sous forme d'excédents de trésorerie et de profits, affectés au remboursement des emprunts contractés pour financer toutes ces manœuvres ou encore gonflant les revenus mirobolants des opérateurs financiers. Cette quête éperdue de succès donna lieu à d'autres stratégies dérivées, qui s'appuyaient sur les licenciements. Des grandes surfaces, par exemple, des fabricants de pneus ou encore des opérateurs téléphoniques fusionnèrent en vue d'éliminer leur capacité excédentaire ou des chevauchements de compétences. Des firmes telles que General Electric et Wal-Mart forcèrent leurs fournisseurs à réduire les prix de leurs marchandises ou de leurs services, quitte à les astreindre à se délocaliser dans des États à bas salaires ou à l'étranger. La délocalisation conditionna même dans certains cas la poursuite des affaires avec un fournisseur.
Le salarié jetable, enquête sur les licenciements aux Etats-Unis, de Louis Uchitelle, est publié aux éditions Demopolis.
Avec France Inter, la chronique de Bernard Maris, journaliste et écrivain.

L'autre économie respecte et écoute l'anthropologie, comme la sociologie, la psychologie, la géographie, l'histoire, tandis que l'économie ordinaire passe toutes ces disciplines à la moulinette du calcul économique. Lévy-Strauss, qui fête son centième anniversaire, ou encore Mauss, sont des personnages éminents de l'autre économie. En particulier par le regard éloigné qu'ils portent sur nos sociétés en étudiant des sociétés différentes. On ne peut comprendre notre économie monétaire et marchande que si on réfléchit sur des sociétés pratiquant le troc ou le don. Ce fameux regard éloigné, on peut également l'avoir en étudiant l'histoire, le moment précapitaliste des sociétés capitalistes.
Un des apports essentiels de Lévy-Strauss concerne la démographie... On sort là du structuralisme, et on rejoint la pensée des vieux économistes, comme Malthus par exemple, dont le nom a donné le malthusianisme. Quand Lévy-Strauss est né, le monde comptait un milliard et demi d'habitants. Il en compte aujourd'hui 6 milliard, bientôt 9, après quoi la population humaine devrait décroître, peut être plus rapidement qu'on ne pense. Ce qu'a souvent exprimé Lévy-Strauss, c'est, je cite, «la difficulté croissante de vivre ensemble». La pression de la population exerce des ravages sur la biodiversité. Et peut-être la pression démographique pousse-t-elle l'humanité, je cite encore «à se haïr elle-même».
Utiliser la chaleur humaine comme naguère celle du bétail, ça c'est du progrès !
On rejoint les vieux économistes, Malthus, Ricardo, voire Keynes, qui avaient une vision extrêmement pessimiste de l'aboutissement du capitalisme : la terre transformée en bidonville. Mais pour terminer sur une note optimiste, songeons à cette dernière trouvaille suédoise : à Stockholm, on va récupérer la chaleur humaine de la gare centrale pour chauffer un immeuble voisin. La chaleur humaine de la gare passera dans des tuyaux pour chauffer 28000 mètres carrés de bureaux, commerces etc. Autrefois les paysans adossaient leurs chambres aux étables pour profiter de la chaleur des bêtes, maintenant les hommes profitent de leur promiscuité. On n'arrête pas le progrès.
La phrase du jour : elle est de Lévy-Strauss, et dédiée aux innommables qui vont bientôt organiser un concours de déterrage de blaireaux. Je n'invente rien : un concours de déterrage de blaireaux. « Les droits de l'humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l'existence d'autres espèces.»
Retrouvez « L'autre économie » de Bernard Maris, en direct sur France Inter, du lundi au vendredi à 6h49.
Par Philippe Bilger, magistrat, qui de Mai 68 garde le souvenir du relâchement d'un corset, d'une révolution pas sérieuse faite ensemble... et aboutissant au règne de l'individualisme.

Daniel Cohn-Bendit, qui vient d'être reçu à l'Elysée, ne veut plus entendre parler de mai 68 dont il a été l'allumeur de mèche, le trublion étincelant. Pourtant, les commémorations de l'événement se sont multipliées et ce n'est sans doute pas terminé. Des débats sont organisés qui montrent qu'il y a quelque chose de pire que le militantisme : c'est le militantisme qui se souvient et se rengorge. Sur ce plan, l'émission de Frédéric Taddéï, au demeurant toujours remarquable, nous a offert il y a quelques jours un florilège dont André Glucksmann a été un pitoyable et intarissable fleuron. Pas une seconde le doute ne l'a assailli, alors qu'il se trouvait en compagnie de Wolinski et de quelques autres, sur le caractère ridicule de sa prestation et de sa tentative échevelée de laisser croire qu'aujourd'hui était hier et qu'hier avait été seulement épique. Pierre Marcelle dans Libération - et avec le sens de la nuance qui le définit... - a évoqué de manière acerbe «ces salauds de soixante-huitards» en moquant les discours et les attitudes imputant à mai 68 la responsabilité de tous les maux présents.
Questionné il y a quelque temps sur cette révolution ratée, je me suis aperçu qu'il n'était pas facile, si on désirait éviter l'alternative d'un mai 68 encensé ou détesté, d'appréhender, derrière la spontanéité et la violence brute de ces péripéties qui n'ont pas été loin de déstabiliser de Gaulle et l'Etat avec lui, leur nature véritable et leurs conséquences complexes.
Une société cravatée a choisi le col ouvert
A l'évidence, des signes avant-coureurs étaient apparus qui auraient pu, dû être perçus par un Pouvoir trop soucieux de ménager son rôle en surplomb de la société pour s'en préoccuper. La France s'ennuie, avait prévenu Pierre Viansson-Ponté et le rapport Narbonne sur l'éducation Nationale avait fourni des clés angoissantes pour l'avenir. Au-delà, par une lucidité rétrospective facile, j'en conviens, une société corsetée, serrée jusqu'à étouffer, ordonnée et rassurante dans la certitude des positions, des compétences et des statuts indiscutés pour l'éternité, dans l'affirmation des vérités consacrées, laissait passer, si on tendait l'esprit, comme un soupir de lassitude, des manifestations d'impatience, voire d'exaspération. Habillée d'une manière qui la gênait aux entournures, elle était prête à accepter les forces qui auraient le culot de la mettre à l'aise. En ce sens, il n'est pas faux de soutenir qu'une société cravatée a choisi le col ouvert. Je n'étais pas encore magistrat mais, très rapidement après, dans la justice, un vent de liberté s'est diffusé qui a touché les apparences plus que le fond. Le Syndicat de la magistrature s'est construit sur cette ambition de décontracter une institution figée et il a fait longtemps de cette volonté son obsession fondamentale, sa passion pour la gauche politique n'étant que l'une des manières d'agiter et d'éveiller notre monde professionnel.
En germe dans le mouvement collectif, la volupté d'être soi
De multiples explications, dont aucune n'est absurde, ont cherché à déchiffrer cet immense et remuant kaléidoscope dont on peut se demander si son échec politique ne lui a pas permis une victoire infiniment plus profonde sur le plan sociétal. Comme si le regret des uns et le soulagement des autres avaient fait cause commune pour tirer de cette fête ou de cette chienlit le meilleur possible pour tous. Comment ne pas admettre qu'on a rué dans les brancards étatiques et qu'on a envoyé «paître» une autorité paternelle symbolique qui fatiguait à force de sollicitude distante et de condescendance technique ? Le jeune citoyen a prétendu, soudain, vouloir s'occuper de ses affaires et cette envie somme toute légitime était trop perturbante alors pour ne pas susciter les reproches, la sévérité des instances régulatrices, du «père» de Gaulle. Elle était d'ailleurs tellement étrangère aux revendications classiques qu'elle a laissé de marbre le syndicalisme dit sérieux.
L'analyse autorise qu'on mette en évidence notamment deux évolutions fondamentales. La première a été très justement évoquée par Pascal Bruckner, soutenant que «depuis mai 68, le plaisir est devenu son propre juge». Une seconde, clairement raccrochée à la première, me semble caractériser l'irruption des personnalités, des individualités dans l'espace politique sorti de ses gonds. Le paradoxe est que ce qui apparaît de prime abord comme le triomphe du collectif portait en son sein le triomphe du singulier, l'éclosion de singularités tentant de se fondre dans la masse mais, malgré elles, éclatantes dans un paysage qu'elles auraient souhaité uniforme. Le plaisir, l'individualité : une appétence de vie, une frénésie de liberté, la volupté d'être soi et de se dicter ses propres règles, la certitude vite déçue que le désordre seul était créatif, le sentiment mélangé que l'idéologie nous contraignait à penser que rien ne pourrait s'accomplir sans les autres, les frères, les camarades, que sais-je encore, mais que le feu d'artifice naissait et brillait en chacun. Il y avait plus de magie dans l'inconnu intime que dans l'inconnu social.
Retrouvez demain la suite de l'analyse de Philippe Bilger.